L’aven du Cochon est une cavité « Viscieuse »… Les premiers résultats d’un traçage improbable
« Les passionnés soulèvent le monde et les sceptiques le laisse retomber » Albert Guinon.
Incroyable, fabuleux, dingue !!! Ce sont les premiers mots qui viennent aux lèvres de tous les spéléologues qui connaissent l’aven du Cochon situé sur la commune de St Pierre de la Fage. Le 26 mars dernier, une petite équipe réalisait une expérience de multi-traçage de la cavité en injectant 9 kg de fluorescéine et 3 kg de sulforhodamine B dans des parties du réseau distantes l’une de l’autre de 300 m et à une profondeur avoisinant les -180 m sous la surface… Toute une aventure ! (voir notre article « Double dose pour l’aven du Cochon »)
Cette action, soutenue par la Communauté de Communes Lodévois et Larzac, le service hydrogéologie du Conseil Départemental de l’Hérault et le Parc Naturel Régional des Grands Causses, avait pour objectif la délimitation du bassin versant du cirque de Gourgas entre autres. Essayer de comprendre le fonctionnement du karst pour mieux l’étudier.
Mais Dame Nature en a décidé autrement !!! Les colorants ont pris un tout autre chemin, totalement inattendu, mettant « un tour de Vis » aux spécialistes-théoriciens chevronnés du milieu souterrain ! La fluorescéine et la sulforhodamine B ont fait leur réapparition dans la vallée de la Vis à la source de Gourneyras. C’est à l’opposé de nos attentes !!! Une traversée du Larzac de part en part longue de 29 jours !
Lors des derniers relevés des fluorimètres, l’hydrogéologue Nicolas Liénart, qui suit l’opération, n’en revenait pas ! Les appareils mis en place à Gourneyras étaient positifs ! La nouvelle fut telle, que le CD34 décida de confier les échantillons d’eau à un laboratoire universitaire spécialisé dans les traçages pour confirmer les résultats et éviter tout « Vis de forme » ! Pas de doutes, plus de doutes… le Cochon est aussi « une cavité Viscieuse »… Les appareils de Gourneyrou (vallée de la Vis) et des Avocats (Cirque de Gourgas) restent toujours muets à ce jour ne détectant aucune présence des traceurs dans l’eau.
Les résultats en quelques chiffres :
- Injection des traceurs le 26/03 à 13h30 au Puits Rino (3kg de sulforhodamine B) et 14h30 au Puits Chilem (9kg de fluorescéine).
- Distance Aven du Cochon – Gourneyras = 10,5 km
- Dénivelé = 230 m (soit un gradient de 2,2%)
- Début de la restitution le 24/04 vers 2h du matin pour les 2 traceurs ; soit presque 29 jours (693 heures exactement !).
- Vitesse de la première arrivée = 15 m/h
- Pic de la restitution le 25/04 à 2h du matin à une concentration de 3,12 µg/l … soit un jour seulement après la première arrivée.
Ce pic est assez faible par rapport à la quantité injectée. Les pics du 17 et 21 avril (voir courbe ci dessous) sont en fait des artefacts liés au bruit de fond mesuré par le fluorimètre. Les échantillons analysés au laboratoire sont tous négatifs sur ces dates.
Un peu de technique : quelle est la différence entre le fluorimètre et l’analyse au laboratoire ?
Le fluorimètre de terrain est un analyseur optique, on l’installe dans la source directement. Un rayon lumineux traverse un filtre coloré, puis l’échantillon d’eau (en fait l’eau de la source coule à travers l’appareil), puis un détecteur mesure le signal électrique reçu. Si du colorant est présent, le signal électrique va varier et cette variation sera proportionnelle à la concentration. Cet appareil est très pratique mais un autre produit ayant les mêmes propriétés optiques peut créer le même résultat et nous induire en erreur avec pourtant une courbe à allure normale.
L’analyse au laboratoire est réalisé avec un spectrofluorimètre. L’appareil permet à la fois la détection et le dosage des traceurs. Le principe est basé sur l’étude de la longueur d’onde lumineuse du traceur coloré utilisé : l’appareil émet la longueur d’onde spécifique du traceur recherché et la réponse prouve la présence du traceur – c’est le spectre d’excitation ; l’appareil émet également une lumière blanche au travers de l’échantillon, si le traceur coloré est présent, il va absorber les couleurs autres que sa couleur caractéristique (ainsi, la fluorescéine va absorber le bleu et le rouge, mais renvoyer le vert !) – c’est le spectre d’absorption.
Le spectrofluorimètre apporte donc la preuve irréfutable de la présence d’un produit dans l’eau, et non pas seulement d’un signal coloré.
Pourquoi attendions-nous les colorants à St Étienne de Gourgas et pas ailleurs ?
Depuis plus d’un mois, les bénévoles de nos associations (aidés de nos amis de Vis Explo) espéraient voir couler la rivière de la Brèze à St Étienne de Gourgas, d’un vert puissant ou d’un rose pâle pour corroborer les résultats du traçage du 30 octobre 1966 réalisé par Henri Paloc et le GERSAM (Groupe d’Etudes et de Recherches Spéléologiques et Archéologiques de Montpellier). En effet, les fluo-capteurs (dispositif à base de charbons actifs utilisé autrefois pour détecter les colorants – les fluorimètres n’existaient pas encore !!!) de la source de l’Avocat avaient fait état d’un passage du colorant le 14 novembre 1966, une quinzaine de jours après son injection à -122 m. Cette expérience faisait suite au premier essai avorté réalisé le 29 Aout 1963 par Henri Camplo et René Nourrit.
La cavité était depuis rattachée au système de la Grotte du Banquier et aux sources de l’Avocat. Malgré le fait que nous n’ayons pas injecté tout à fait au même endroit que nos aînés, nous attendions donc tout naturellement à Gourgas , comme Jean de Florette attend la pluie dans le roman de Pagnol. Peuchère !
Alors pourquoi surveiller la Vis ?
Une théorie vieille de 60 ans faisait état de possibilités de connexion avec la Vis… Basée sur l’observation de nos aînés, cette théorie était restée en sommeil depuis, remise en cause par l’expérience de 1966. Grâce à la logistique des institutions partenaires, nous avons décidé d’aller au bout de nos convictions en équipant ainsi les sources de Gourneyrou et Gourneyras. Bref, comme d’habitude, nous sommes passés pour des dingues ! A croire que la folie permet de réaliser des prouesses !
S’il y a une morale dans l’histoire, c’est que les anciens voyaient juste et que l’observation souterraine reste l’une des clés principales de la compréhension du karst qui ne finit pas de nous surprendre. Rien n’est jamais totalement acquis dans ce domaine, aucunes certitudes… Place maintenant à la « Métamorphose des Cloportes » et son lot de : « on le savait… », « c’est pas étonnant… » ou « je l’avais toujours dit… ». Mais comme dirai Bourvil : « Le dire c’est bien, mais le fer c’est mieux ! »
Au delà de nos quelques boutades amicales envers nos pairs, ce résultat soulève plusieurs hypothèses vous vous en doutez : La cavité appartient-elle à deux systèmes hydrogéologiques distinct (l’un se déversant vers la Vis et l’autre vers Gourgas ? Doit-on traiter le Larzac comme un immense plateau interconnecté par des jeux de failles ? Mais où commence la Vis ? Pourquoi les résultats de 1966 sont-ils différents ? Nous laisserons les scientifiques répondre à ces questions car vous l’aurez compris, c’est « une petite révolution » dans le monde de la spéléologie que l’annonce de ces résultats improbables !
Il nous faudra revenir quoi qu’il advienne cet automne à l‘aven du Cochon. Se traîner à nouveau dans la boue pour continuer les explorations et réaliser une nouvelle injection de colorant à l’endroit même où il y a presque 60 ans une petite équipe de passionnés avait prouvé une des connexions de ce réseau complexe ! « Une vraie « Vis sans fin » ce Cochon ! » Histoire à suivre…
Nous dédions cette avancée à tous les sceptiques.
Une conférence « Autour de la Vis » aura lieu à St Maurice-Navacelles (salle des fêtes) le 13 mai 2022 à partir de 18h animée par Philippe Vernant et Frank Vasseur en partenariat avec le musée de Lodève, Ville d’Art et d’Histoire, la communauté de communes Lodévois et Larzac et l’Université de Montpellier. Infos et réservations au 04 67 88 86 44 ou cliquez ici.
4 réflexions sur « L’aven du Cochon est une cavité « Viscieuse »… Les premiers résultats d’un traçage improbable »
Félicitation à tous les intervenants sur cette étude passionnante . De
Bravo aux acharnés de ne pas avoir trop présumé du lieu de sortie.
Belle surprise qui doit titiller les explos, en plongée mais pas que.
Quelle belle traversée en perspective .
Super resultat. Bravo L’aven du Cochon est une cavité complexe, la topo en donne une bonne illustration et tous ceux qui l’ont explorée et topographie le savent. Chaque réseau est compartimenté dans des enclaves structurales (genre touches de pianos) qui décalent ça et là les séries potentiellement aquifères. Certaines d’entre elles concernent le bassin de Gourgas, d’autres le bassin de la Vis. Les conditions hydrogéologiques lors d’une expérience de coloration peuvent jouer en faveur de l’un ou de l’autre versant selon la saturation du niveau karstique concerné.