« L’or bleu » de Pégairolles de l’Escalette
Niché dans la haute vallée de la Lergue, Pégairolles de l’Escalette se situe au cœur de notre terrain d’étude depuis plus de quatre ans. Les 150 âmes qui peuplent ce charmant village entre vignes et falaises connaissent l’existence des trésors tant convoités qui jaillissent sur les flancs du Larzac…
Pégairolles est une commune productrice de nombreux liquides ! En effet, les vendanges sur les terrasses du Larzac permettent d’extraire chaque année un nectar tantôt rouge, tantôt blanc. Les soirs d’été on raconte même qu’il devient rose et tourne la tête a quiconque en abuse ! Nous laisserons donc de coté (temporairement) la chimie et la bactériologie de ces « sources de jouvences » pour se consacrer à l’étude des sources plus conventionnelles…
Vous l’aurez compris, nous sommes avant tout dans une commune « aquatique » au pied du grand plateau calcaire du Larzac. « L’or bleu » résurge en de nombreux points de la commune. Des sources de hauts niveaux ou des résurgences pénétrables créent ainsi des affluents conséquents à la Lergue, cours d’eau principal. Son débit passe de 110 l/s (à l’étiage) en amont du village à 298 l/s après l’avoir traversé (mesures de juillet 2015 à juillet 2022). Le Bronc, l’Adoux, la Sambuguède, le Bousquet tant de noms de sources qui résonnent et qui font de Pégairolles de l’Escalette un lieu à part dans le paysage karstique de Lodévois et Larzac. Mais ne nous trompons pas ; la puissance de l’eau se fait ressentir à chaque épisode cévenol et la nature rappelle à tous que c’est elle qui domine ! Le dernier en date (15 septembre 2023) a rendu les eaux de la Lergue torrentielles rappelant ainsi pourquoi une partie du Pas de l’Escalette qui relie la vallée au plateau se nomme « Trou de l’Enfer » !
Depuis 4 ans et dans le cadre de l’Observatoire du Karst, nous avons œuvré régulièrement à Pégairolles ! Nouvelles explorations (Aven des Perles, Résurgence du Bousquet), Dépollution (Trou du Loup), Traçages (Aven des Deux Zèbres, Aven Vailhé), Conférences… Tant d’opérations menées pour et au service de cet « Or Bleu ».
Des bactéries mangeuses de roches…!
Alors on a voulu aller un peu plus loin. Comme on n’est pas des scientifiques mais juste des observateurs du milieu souterrain, on s’est dit qu’un partenariat avec des gens qui comprennent, serait peut-être bénéfique pour la connaissance ! Tout début Octobre 2023, dans le cadre d’un programme de recherche visant à étudier le rôle des bactéries du sous-sol dans l’altération des roches, la chimie des eaux et la formation des karsts, des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) et de Géosciences Montpellier (Université de Montpellier) ont installé un dispositif étrange dans la rivière souterraine du Bousquet. Ce matériel est un bio-colonisateur permettant d’étudier les bébêtes qui mangent des cailloux ! Oui vous ne rêvez pas ! il existe bel et bien des bactéries qui s’attaquent aux roches.
Voici quelques explications de Philippe Vernant de l’Université de Montpellier :
« Même si ça parait invraisemblable, le sous-sol présente des écosystèmes microbiens à des profondeurs pouvant atteindre quelques kilomètres ! Une partie de ces organismes se développe à partir de l’oxydation de composés de fer et de manganèse. Les réactions générées peuvent produire une acidification de l’eau et aider à la dissolution des calcaires, induisant une augmentation de la porosité des roches et donc de leur capacité de stockage de l’eau. Des preuves de la présence de ces organismes dans les sources et rivières souterraines du Larzac ont déjà été trouvées. La question qui se pose maintenant est de savoir s’il est possible de mettre en évidence l’activité de ces bactéries sur des morceaux de roches stérilisés. Le bio-colonisateur est donc composé de tubes avec diverses roches et l’eau de la rivière du Bousquet y passe. Ces échantillons seront analysés dans la cadre d’une thèse se déroulant à l’IPGP pour voir si des bactéries sont venues s’attabler au restaurant développé spécialement pour elles ! »
Une source hors du commun !
L’Adoux est « LA » source de Pégairolles. Au delà de son utilisation ancestrale comme alimentation du village et pour les jardins qui l’entourent, cette résurgence vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. L’A75 qui passe juste au dessus est forcément un point d’inquiétude grandissant. Source principale de la commune, elle n’en reste pas moins vulnérable. Depuis quelques années, sous l’impulsion de la Mairie mais aussi du Syndicat Intercommunal des Eaux du Lodévois et Larzac, nous avons lancé des investigations depuis la vallée mais aussi sur le plateau. Le but étant de déterminer avec précision l’impluvium et le bassin d’alimentation de cette mine d’Or Bleu.
Les traçages successifs de l’Aven Vailhé et de l’aven des Deux Zèbres (en partenariat avec le service hydrogéologie du Conseil Départemental de l’Hérault), ont permis, pour la première fois, de poser les bases et de venir compléter la carte des traçages de la région. En 2022, le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) et l’Université de Montpellier ont encadré le stage de recherche d’un étudiant autour de cette source. Des jaugeages au sel pour mesurer les débits ont permis de calibrer le modèle de seuil mis en place à la source et de proposer pour la première fois une courbe de tarage permettant de convertir la hauteur d’eau mesurée en débit de la source. Le croisement des données pluviométriques avec les volumes d’eau sortant à la source ont confirmé la taille du bassin versant alimentant la celle-ci.
L’Adoux n’est pas pénétrable en l’état. Seule une petite grotte nommée « Trou du Loup », proche de la source, permet une progression d’une cinquantaine de mètres dans un trop-plein que nous avons dépollué en 2021. En effet, l’euphorie d’éventuelles explorations spéléologiques dans les années 90/2000 avait fait oublier à certains spéléologues, tout le matériel installé pour les élargissements. Ce n’est pas moins de deux tonnes de fer et de câbles que nous avons extraites et recyclées.
Plus récemment des travaux d’investigations officiels dans la vasque même de sortie de l’Adoux ont permis une courte progression des plongeurs de Céladon. La résurgence laisse entrevoir un conduit étroit qui espérons-le, permettra une exploration plus conséquente dès le début de l’année 2024. Nous avons prévu de revenir… Les investigations scientifiques récentes et leurs résultats, la fragilité de cette source et l’attachement des habitants pour cet Or Bleu sont les ingrédients qui motivent les troupes pour aller plus loin. Explorer c’est comprendre, comprendre c’est protéger.
Une population attachée à son trésor !
Une fois n’est pas coutume! Pégairolles a été une fois de plus le siège d’une conférence autour de l’eau. Après « Histoires d’eaux » en 2022, c’est « Spéléologues, Sentinelles du milieu souterrain » que nous sommes venus présenter le 18 octobre dernier. Dans le cadre de la semaine de l’eau et en partenariat avec les associations Œuvres d’Eaux et Vis Explo, les habitants de Pégairolles sont venus nombreux écouter les histoires et le résultat des connaissances acquises lors de nos investigations (écouter le Pod Cast ici). Plus d’une cinquantaine de personnes toutes attachées à ce patrimoine souterrain et à ce trésor qu’est l’eau ont fait le déplacement jusqu’à la petite salle des fêtes qui, n’hésitons pas à le dire devient un peu notre QG! Les différents échanges nous montrent encore une fois l’intérêt que porte le grand public à la question de l’eau.
C’est le verre de l’amitié qui clôturera cette soirée où l’Or Bleu deviendra quelque peu « turbide » au contact d’un puissant breuvage anisé et où l’Or Rouge et Blanc de Pégairolles viendra (avec modération) attiser les futurs projets.
Nous n’avons pas encore dit notre dernier mot! L’Adoux nous réserve bien des surprises encore, tout comme les sources supérieures de la vallée et la rivière souterraine du Bousquet. Une richesse inestimable pour cette petite commune.
Percer les mystères de l’Or Bleu de Pégairolles est une histoire sans fin !